Antoine Griezmann embrasse l’image de la Vierge Marie qu’il porte sur son avant-bras (Real Sociedad) |
On n’aura jamais autant vu de
tatouages religieux en Equipe de France. Chez Rémy Cabella, l’inscription « Dio
vi salvi Regina » au bras gauche. Chez Antoine Griezmann, le Christ
Rédempteur du Corcovado, un chapelet et la Vierge Marie. Chez Mathieu Debuchy,
un chapelet, le Christ Rédempteur, des mains en prières enlaçant une croix. Sur
le bras d’Olivier Giroud est inscrit en latin « Dominus Regit Me Et Nihil Mihi Deerit »,
extrait du psaume 23 : « le Seigneur est mon berger, je ne manque de
rien ». Pour Yohan Cabaye, le plus pieux, le nom « Jésus »
en grandes lettres gothiques recouvre le bras, entrelacé d’un chapelet. Même le
capricieux Florian Thauvin porte une croix autour du cou.
L’islam et le reste
« L’islam est la première religion de Ligue 1 », dit
Daniel Riolo en 2013 pour la sortie de son livre « Racaille Football
Club ». Le journaliste y décrit comment un islam revendicatif se développe
dans les équipes, avec des joueurs imposant nourriture halal, prières dans les
vestiaires ou douches en caleçon. Réalité traduite en Equipe de France, comme
l’épisode Knysna en 2010 l’avait montré : imposition du buffet halal et des
rites musulmans, clans religieux. Fabien Barthez déclarait lui-même : «
quand on rentre dans le vestiaire de l’Equipe de France, on se croirait dans
une mosquée ». A l’affirmation identitaire se rajoute le prosélytisme, et parmi
les musulmans les plus actifs se trouvent des convertis, blancs ou noirs,
souvent à la suite d’un mariage ou sous l’influence de coéquipiers. Cette
islamisation de la Ligue 1 rejoint un phénomène général en foot français de
montée de l’islam radical, dénoncé en 2015 dans une note des renseignements
intitulée « Le sport amateur vecteur de communautarisme et de
radicalité ».
Pourtant, ces dernières années, on
observe une nouvelle tendance : celle des joueurs français s’affichant
ostensiblement chrétiens.
L’Equipe de France est
historiquement composée de catholiques, religion majoritaire. Kopa disait « Nous dans le Nord, on se tapait du
lundi au vendredi contre les Français. Mais tu sais ce qui a fait le
rapprochement ? C’est que tous les dimanches, on était à l’Eglise.
Polacks, Français ou autres, on se retrouvait à l’Eglise. C’était un élément
fédérateur, un acte de réconciliation générale ». La mère de Platini
enseignait le caté, attirant beaucoup de garçons dans sa maison où le déjà célèbre
Michel passait parfois. Enfin, les fils de Zidane, Enzo, Lucas, Théo et Elyaz,
vivant en Espagne, baignent dans un milieu plus catholique que musulman.
Historiquement, un catholicisme ancré mais discret
Guy Roux se souvient de son
enfance : « Quand on avait bien
appris le catéchisme, on allait à un match de foot ». Puis, comme
entraîneur : « Je me souviens que, dans mon club de
l’AJ Auxerre, j’avais des jeunes joueurs polonais qui venaient de la même région
que le pape Jean-Paul II. Quand on était en stage, hors de question de leur
faire faire un entraînement le dimanche matin, il y avait la messe ! ».
L’AJ Auxerre, issu d’un patronage catholique fondé par l’Abbé Deschamps, couleur
bleu marial frappé de la croix de Malte, est toujours sous l’égide spirituelle
d’un prêtre (le Père Joël Rignault). Le gardien Lionel Charbonnier explique :
« A mon époque, le centre de formation
était au pied de la cathédrale et l’abbé Bonnefoy en était le directeur. Nous
mangions souvent avec lui. Nous étions au patronage Saint-Joseph ». Le
club a grandi depuis, et
« maintenant, le club possède son centre de formation. Mais il s’est
éloigné de ses racines », pense le champion du Monde 1998. Le club est
descendu en Ligue 2 en 2012. Inversement, depuis 25 ans, les religieuses de la
congrégation Notre-Dame de la Merci héberge des joueurs du centre de formation
de Montpellier. Le club est remonté en Ligue 1 en 2009, sacré Champion de
France en 2012.
Ce contact avec le catholicisme peut
entraîner des conversions. Djibril Cissé, converti de l’islam au christianisme, en est un exemple :
« Je suis parti à Nîmes
à 14-15 ans et le club mettait les joueurs dans les collèges catholiques. J'ai
étudié le catéchisme, j'ai aimé et j'ai décidé de choisir la religion
catholique même si je suis issu d'une famille musulmane ». A Lyon,
l’attaquant Bafétimbi Gomis a nourri sa foi aux côtés de Bernard Lacombe. « Souvent je vais avec lui prier à
l’église. C’est lui qui m’a emmené pour la première fois à Notre-Dame de
Fourvière. Il a toujours eu cette belle et grande foi. »
Cela dit, la religion catholique est restée
« enfouie ». On découvre la catholicité d’anciens joueurs français
revenus aux manettes en club : Bernard Lacombe, Rémi Garde (OL). Pascal Dupraz,
entraîneur de Toulouse, a fait des déclarations surprenantes en conférence de
presse début avril : « J’ai la foi.
Je suis catho et je suis content de l’être, fier de l’être en plus. Je vais à
l’église et je respecte ces lieux de culte ».
Il n’est pas rare de voir des joueurs français
d’origine africaine ou antillaise parler de leur foi. On pouvait croiser
l’attaquant guyanais Jean-Claude Darcheville les dimanches à la messe par
exemple. Il est plus étonnant de voir des joueurs français blancs revendiquer
leur identité chrétienne. Ces jeunes footballeurs sont sociologiquement éloignés
de l’image du « catho » : ils ne viennent pas d’un milieu BCBG
ou de haute éducation, ont les goûts musicaux de leur époque (rap pour les plus
jeunes). Dans une France sécularisée, l’Eglise est peu tendance. Ce qui rend
leurs professions de foi inattendues.
Debuchy : « Je suis catholique et pratiquant,
même si ce n'est pas évident pour moi d'aller régulièrement à l'église. Mais je
prie tous les soirs pour les miens. Je crois profondément en Dieu, à ce qu'il
peut apporter à ma famille. C'est ce que je demande dans mes prières. »
Cabaye : « Ma foi occupe une très grande place dans ma vie. J’ai
la chance de vivre une très belle vie, sportive, humaine et familiale aussi.
J’ai tout ce dont j’ai envie, mais je sais que, du jour au lendemain, tout peut
s’arrêter. Je remercie Dieu pour la vie qu’il me donne et lui demande de rester
croyant et d’être épargné par le Mauvais. J’ai toujours été plus ou moins
croyant, mais plus je grandis et plus ma foi grandit aussi. Aujourd’hui, je ne
peux pas faire sans. » « Ma grand-mère est croyante. Chez
elle, j’ai toujours vu des croix, des vierges, des bibles, mais elle ne nous a
jamais obligés. ». Cabaye,
qui lit la Bible durant les déplacements avec l’Equipe de France, ajoute : « Je
prie chez moi matin, midi, soir. Je lis aussi des ouvrages pour développer ma
foi. Même s’il y a des choses trop intelligentes pour nous, c’est bien
d’acquérir certaines bases. » Giroud : « Je suis très croyant. Ma mère m’a initié
à la religion et j’ai choisi de me faire baptiser catholique. A 21 ans, je me
suis fait tatouer sur le bras droit un psaume tiré de la bible latine qui
signifie : L’éternel est mon berger, je ne manquerai de rien. Ça m’apaise. En
rentrant sur le terrain, je ne me signe pas mais je fais tout de même une
petite prière. » Thauvin : « Je
suis baptisé, mais nous n'étions pas spécialement des catholiques pratiquants
dans ma famille. A 13 ans, avant un match, j'ai ressenti une douleur. J'ai
prié, et le lendemain, je ne sentais plus rien, je pouvais jouer normalement.
Depuis ce moment, je prie. J'essaie d'aller le plus souvent à l'église, au
moins pour les dates majeures. Le religieux, c'est personnel, j'échange peu
avec mes coéquipiers sur ce thème. » Griezmann, parlant de ses
tatouages chrétiens : « Je les porte car
dans ma famille nous sommes tous très croyants. » « Je suis
religieux ». Cabella, croyant non pratiquant, parlant du pensionnat de l’Enfant
Jésus de Montpellier : « Je n’oublie pas d’où
je viens. »
Ces déclarations révèlent des
niveaux de pratique très différents mais une volonté commune de se dire
chrétien. Ces footballeurs sont loin d’être tous exemplaires, mais les plus pratiquants
d’entre eux sont aussi ceux ayant le meilleur comportement.
Expliquer un phénomène nouveau
Le nombre important de
conversions laissait pourtant présager d’un triomphe de l’Islam dans le
football français. Le sociologue Stéphane Béaud écrivait en 2011 (en
jargonnant) : « Dans un contexte où s’est
accru le poids des Maghrébins dans certains quartiers, le groupe des enfants
d’Algériens ou de Marocains, qui devient le groupe majoritaire sur le plan de
la morphologie sociale, parvient davantage à imposer ses normes sociales et
religieuses, notamment à ce moment de flottement des identités qu’est
l’adolescence. Dans des quartiers à forte (et durable) surreprésentation de
Maghrébins, correspondent dans la durée une visibilité plus grande de l’islam
(mosquées, boucheries halal, etc.), une pratique dominante de cette
religion, un contrôle social étendu du respect des interdits et une conversion
croissante des groupes minoritaires (les Antillais, ceux qu’on appelle
"les Gaulois", etc.). »
Quelques années plus tard, un
phénomène contraire apparait : « Aujourd’hui, les joueurs
catholiques français s’intéressent eux aussi de plus en plus à Dieu et ne s’en
cachent pas. Ils prennent exemple sur les musulmans et les joueurs d’Amérique
du Sud. », confirme un dirigeant de club qui souhaite rester anonyme.
L’affichage religieux des
musulmans a probablement « décomplexé » les autres. La religion
devient un sujet fréquent, plus que la politique : « Les joueurs de foot passent beaucoup de
temps en déplacement et ils échangent beaucoup sur la religion et leurs
cultures respectives. Ils sont curieux et ouverts. Il y a beaucoup de
transmissions entre eux », raconte le dirigeant. Une forme de réaction identitaire : si des
joueurs se disent musulmans, qui est-on ? On ne peut pas dire « rien
du tout », on est donc chrétien. Cette identification résulte
en partie des excès d’un islam communautaire. La Coupe du Monde 2010 en fut le
summum. Le groupe des convertis est le plus revendicatif : Ribéry, Anelka,
Abidal. Le « Français » de la sélection nationale, méprisé des bandes
ethnico-religieuses, Yoann Gourcuff, est ostracisé. Comme minoritaire, le Blanc
peut s’assimiler par la conversion à l’islam (à l’image de Ribéry) ou rester
isolé. Ou alors, s’identifier à une autre communauté de foi soudée, redécouvrir
sa culture d’origine. Ce développement plus récent a été permis par le
témoignage de joueurs étrangers.
Influence internationale
Au niveau international, le
christianisme est la religion dominante chez les footballeurs. Les deux monstres
du ballon, Cristiano Ronaldo et Messi, sont catholiques, et les Sud-Américains
sont très croyants, pour beaucoup évangéliques. La tendance semble même se
renforcer d’une génération sur l’autre. En jouant à l’étranger, notamment en
Europe du Sud, les joueurs français sont confrontés à un catholicisme plus fort
et intégré dans la vie des clubs. Lorsque, pour les JMJ, le Real Madrid a
offert au Pape un maillot floqué Benoît « 16 », Benzema l’a signé
comme tous les joueurs du Real. Au fil des années, des joueurs emblématiques
ont porté des slogans chrétiens après la victoire de leur club en coupe
européenne : Kaka (2007), Falcao (2011), David Luiz (2012), Alaba (2013), Neymar
(2015). La ferveur religieuse des Brésiliens se voit sur le terrain, avec des prières
en action de grâce (victoire en Coupe du Monde 2002, en Coupe des
Confédérations 2009…) et même après une défaite (l’humiliant 7 à 1 face à
l’Allemagne). Des gestes que critiquent les autorités de la Fifa et certains
journalistes : ils craignent que l’exemple des meilleurs joueurs affichant
leur religion ne favorise le christianisme.
On observe ce retour de la
religiosité même dans les sélections de pays réputés sécularisés, comme
l’Angleterre, les Pays-Bas ou l’Allemagne. Cet intérêt pour la foi révèle chez
les sportifs un besoin universel de sens et de repères dans le milieu peu sain
du football.
L’arrivé des joueurs
internationaux au PSG a apporté une culture chrétienne. Le capitaine et pasteur
brésilien Marcos Ceara a ainsi baptisé son coéquipier Blaise Matuidi. Au
PSG, où la majorité des joueurs est chrétienne, les Français se signent aussi
avant match : Yohan Cabaye, Lucas Digne, Blaise Matuidi. Pas un geste
banal, précise bien ce dernier : « Je ne suis pas
superstitieux, mais je suis croyant ».
***
On assiste à l’émergence d’une
foi chrétienne plus assumée chez des footballeurs pourtant peu prédisposés
sociologiquement. Les Français restent moins démonstratifs que leurs compatriotes
sud-américains, mais ce phénomène est si récent qu’il a le temps de
s’approfondir. Signes de croix, tatouages et déclarations ne font pas le moine,
mais ils montrent que s’afficher chrétien n’est plus honteux pour les
footballeurs français.
Livres
sur le sujet : « Racaille Football Club » de Daniel Riolo (2013) et « Dieu Football Club » de Nicolas Vilas (2014) rapportent des
témoignages intéressants, mais pas les évolutions religieuses les plus
récentes.
Merci pour cet article hyper détaillé!
RépondreSupprimerRavi d'avoir pu vous informer. :)
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